L’injuste prix de notre alimentation : un rapport national, des initiatives locales
18 décembre 2024 0 Par Magazine Interaction 01Alimentation de qualité trop chère, crise sanitaire, sociale et environnementale, précarité des agriculteurs, tout est lié. Le Secours catholique, le réseau CIVAM (Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques se sont associés pour dénoncer ensemble les impacts générés par notre système agricole et alimentaire.
Les quatre associations ont mené un travail collaboratif de recherche. Leur rapport intitulé « L’injuste prix de notre alimentation : quels coûts pour la planète ? » a été présenté le 16 décembre à Chalamont en prélude au lancement du « P’tit marché de la Dombes », une épicerie sociale itinérante portée par l’équipe locale de la délégation de l’Ain du Secours catholique.
Le vrai coût du système alimentaire français : une catastrophe budgétaire, sociale, sanitaire et environnementale
« Nous avons souhaité travailler ensemble, pour montrer à quel point ces sujets – environnement, santé, pauvreté et difficultés d’accès à l’alimentation – sont liés », a expliqué Marie Drique, responsable de l’Accès digne à l’alimentation au Secours catholique. « Nous voulions mettre en lumière ce que notre système alimentaire nous coûte en vrai, c’est-à-dire collectivement, en analysant les dépenses publiques occasionnées par la réparation des dégâts sanitaires et sociaux. »
CHIFFRES PRINCIPAUX DU RAPPORT
8 millions de Français sont en situation d’insécurité alimentaire, dont 2 millions recourent à l’aide alimentaire.
+ 160 % de personnes diabétiques en 20 ans, parallèlement à l’accroissement d’autres pathologies liées à l’alimentation (maladies cardio-vasculaires, surpoids, obésité).
18 % des agriculteurs vivent actuellement sous le seuil de pauvreté, avec un risque de suicide deux fois plus élevé dans cette profession que pour le reste de la population.
47 % des ménages français ont déclaré en juin 2023 avoir dû modifier leurs habitudes alimentaires du fait de l’inflation.
48 milliards dépensés en 2021 pour l’agriculture et les infrastructures alimentaires en France et 19 milliards pour compenser les impacts négatifs sociaux, sanitaires et sociaux.
50 % de départs en retraite dans la profession agricole sont prévus d’ici 10 ans.
Sources et rapport disponibles en ligne :
https://www.secours-catholique.org/agir/porter-nos-messages/linjuste-prix-de-notre-alimentation
Marion Drique a présenté le rapport et ses principaux chiffres devant un public d’élus, de représentants de la DREETS (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), d’agriculteurs, de travailleurs sociaux et de membres d’associations caritatives du département.
Pour les quatre associations, lorsqu’on cumule le coût des aliments et des dépenses sanitaires et sociales qui ne cessent d’augmenter, « la société passe deux fois la caisse ». Un constat qui invite à revoir en profondeur la répartition et l’orientation des financements de soutien au système alimentaire dans le pays, s’agissant d’un investissement collectif essentiel.
De plus en plus d’agriculteurs en grande difficulté
Lorraine Peynichou, venue représenter Solidarité paysans 01 qui accompagne 70 agriculteurs en difficulté dans le département, a pointé que les coûts sanitaires et sociaux exposés dans le rapport sont largement sous-estimés, car ils n’intègrent pas certains éléments non chiffrables tels que l’exposition aux pesticides ou d’autres maladies non encore considérées comme professionnelles, ou encore le non-recours aux droits sociaux de nombreux agriculteurs en situation précaire, « dont 18 % ne se sont pas mobilisés dernièrement, se cachent et restent invisibles ». Elle a également soulevé l’augmentation des demandes d’aide de la part des jeunes agriculteurs et de ceux ayant fait le choix du bio. « Les citoyens sont déconnectés de la production agricole. Ils payent de plus en plus cher des produits dont la qualité se dégrade, tandis que les agriculteurs qui produisent les matières premières tirent de moins en moins de revenus de leur activité. Une captation de valeur est opérée par les intermédiaires du système, qui occupent désormais une place prépondérante, avec un sentiment d’impuissance des consommateurs comme des producteurs. »
Au pt’it marché de la Dombes : « le mieux manger pour tous »
« Il faut trouver des marges de manœuvre financières et politiques, et sortir des injonctions appelant uniquement les agriculteurs et les consommateurs à changer leur comportement. Ces injonctions sont contradictoires quand on voit que seulement 6 % des financements de l’agriculture soutiennent des modèles économiques responsables », a conclu Marie Drique.
En attendant le virage souhaité des politiques publiques, l’équipe de la Dombes de la délégation de l’Ain du Secours catholique a commencé à agir et vient d’inaugurer son épicerie sociale itinérante « Au p’tit marché de la Dombes ».
« Dans les collectes, on nous donne essentiellement des aliments premier prix ou transformés, de mauvaise qualité », raconte une bénévole. « Nous souhaitions engager le mieux manger pour tous, aller vers les habitants, et favoriser une relation plus fraternelle avec nos bénéficiaires. » Plusieurs producteurs locaux ont été sollicités pour proposer des produits, dont l’ESAT (Établissement et service d’aide par le travail) de Saint-Nizier-le-Désert, les Fermiers de la Dombes et les Jardins bio de Tremplin. Neuf familles sont actuellement concernées, soit une vingtaine de personnes, et peuvent venir le jeudi matin acheter les produits proposés en échange d’une participation financière adaptée à leur situation. L’équipe tient à remercier les mécènes qui ont soutenu leur projet et prévoit d’engager prochainement diverses actions et animations corollaires pour accompagner le public comme des ateliers cuisine, ayant constaté que peu de personnes se dirigent spontanément vers les fruits et légumes frais, leur préférant les produits déjà prêts à consommer.
Du rapport national aux constats de terrain, le travail à mener s’annonce large, car comme le soulève un autre bénévole, « l’alimentation, c’est un sujet transversal passionnant, en lien avec tous les acteurs d’un territoire, qui peut nous permettre de mieux nous connaître et d’agir ensemble ».
Article : Mathilde Palfroy